La théorie de la dominance chez les chiens : une légende qui a la vie dure !

En effet, l'histoire a commencé il y a très longtemps, de façon plutôt anodine. Mais parce qu'elle a été reprise et amplifiée sans aucune vérification, on a inventé de toutes pièces les "mâles alpha" et autres "personnalités" de dominants ou de dominés ....

1/22/20255 min read

La théorie de la dominance chez les chiens : cette vieille légende qui a la vie dure

Ah, la fameuse théorie de la dominance ! Si vous avez un chien, on vous a sûrement déjà dit qu'il fallait "ne pas le laisser monter sur le canapé pour lui montrer qui est le chef" ou "ne surtout pas lui donner à manger avant vous".
Spoiler alert : votre chien ne complote pas secrètement pour prendre le contrôle et cela fait plus d’un quart de siècle que la science l’a démontré !
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Une histoire qui remonte plus loin qu'on ne le pense

Les années 20 : tout commence avec des poules !

Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'histoire de la dominance commence dans un poulailler ! En 1921, un scientifique norvégien au nom imprononçable (Thorleif Schjelderup-Ebbe, essayez de le dire à voix haute pour voir !) observe des poules domestiques et invente le concept de "pecking order" - littéralement "hiérarchie des coups de becs" : une structure de domination linéaire dans laquelle chaque poule a la préséance sur une autre. C'est donc lui qui, le premier, décrit une hiérarchie sociale stricte dans le monde animal.
Qui aurait cru que quelques poules qui se disputent des graines allaient influencer des décennies de science comportementale ?
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Les années 40 : le malentendu originel

Ensuite, tout est relancé dans les années 40, quand Rudolf Schenkel, un scientifique suisse, a décidé d'observer des loups... en prison. Enfin, en zoo, mais avouons-le, pour des loups, c'est un peu la même chose. Imaginez observer le comportement humain dans une cellule de prison surpeuplée et en tirer des conclusions sur la façon dont nous nous pratiquons la politesse. Pas très malin, n'est-ce pas ? C’est pourtant cette étude, menée au zoo de Bâle, qui a donné naissance aux concepts d'"alpha" et de "dominance".

Les années 50-60 : Lorenz entre dans la danse

Et puis arrive Konrad Lorenz, un scientifique autrichien qui devient une vraie rock star de l'éthologie, prix Nobel à la clé, s'il vous plaît ! Dans son livre "L'Agression" (1963), il développe l'idée que la domination est un comportement inné et adaptatif. Avec son style charismatique et ses observations sur les oies (encore des oiseaux !), il popularise ces théories bien au-delà du monde scientifique.

Lorenz fait le lien entre les loups et les chiens, suggérant que nos compagnons à quatre pattes ont gardé les mêmes structures sociales que leurs ancêtres. Ce qui revient un peu à dire que vous vous comportez exactement comme vos ancêtres de Cro-Magnon parce que vous aimez manger de la viande grillée … 🤨

Les années 60-70 : quand ça dérape

Entre en scène L. David Mech, un biologiste et zoologiste américain. Il travaille à partir des observations de Schenkel sur des regroupements artificiels de loups en parcs naturels. Enseignant à l’université du Minnesota, il est prié par son employeur de produire des résultats ; il collecte donc tout ce qu’il trouve sur les loups gris et les loups rouges et le publie en 1970 sous le titre "Le Loup ", le livre qui va devenir LA référence.
Imaginez "Game of Thrones" version canine : des luttes de pouvoir, des hiérarchies strictes, des batailles pour le trône, des mises à mort ... Le succès est immédiat, et tout le monde commence à voir des "mâles alpha" partout : dans l’entreprise, la psychologie, la politique …

Les années 80-90 : l'âge d'or des malentendus

C'est l'époque où les "experts" en comportement canin se multiplient comme des petits pains. Ils appliquent aux chiens les comportements des loups (même si ça fait plus de 25 000 ans que ce n’est plus le même animal, mais on ne va pas chipoter pour si peu.) Et à partir de cette fumeuse notion de « mâle alpha », ces messieurs (oui, parce qu’avoir un chien obéissant nécessite l’intervention d’un homme, un vrai !) inventent toutes sortes de règles. Pour être un bon maître, il faut impérativement, au minimum :

  • Manger avant son chien

  • Passer les portes en premier

  • Interdire de monter sur le canapé

  • Pratiquer l'"alpha roll" : retourner physiquement son chien sur le dos

Liste évidemment non limitative, que l’on peut malheureusement tous compléter.

D’où l’émergence de « l’éducation canine », héritée du dressage des chiens de travail ou militaires et de … la théorie de la dominance (la boucle est bouclée).

Les dangers de la domination et des méthodes coercitives

Le plus gros piège de la croyance en la dominance est l’idée qu’il faut "soumettre" le chien en adoptant des méthodes punitives et coercitives. Si l’on croit qu’un chien doit être "dominé", on peut alors utiliser des techniques comme le collier étrangleur ou des punitions physiques. Résultat : au lieu de créer une relation de confiance, on construit un mur de méfiance et d’anxiété. Ce qui ne fait que compliquer la relation et peut conduire à des comportements agressifs, de peur, des problèmes de santé... C’est un peu comme essayer de faire obéir quelqu’un à force de cris et de menaces… ça marche, mais à quel prix et pour combien de temps ?

XXI -ème siècle : le grand retournement de situation

Mech fait son mea culpa

Dans les années 2000, Mech lui-même fait volte-face après avoir étudié les loups dans leur milieu naturel. Surprise : dans la nature, la meute de loups typique est une famille et les loups ne passent pas leur temps à se battre pour la dominance.

A bien y regarder, toutes ces observations sont des artefacts ! Elles ont été faites sur des situations entièrement créées par l’homme, et ne peuvent donc pas servir de support à un quelconque modèle de comportement …
Ce qu’avait d’ailleurs déjà démontré la primatologue Thelma Rowell en étudiant les babouins en liberté (mais bon, comme c’est une femme…
😵)

La science moderne entre en scène

Les chercheurs modernes, armés de GPS, de caméras, et (surtout) de bon sens, ont donc découvert -scientifiquement- que :

  • Les loups sauvages vivent en famille et les parents éduquent leurs petits (et leur grognent dessus si nécessaire)

  • Les chiens de compagnie sont des êtres sociaux et communiquent avec les membres de leur groupe (nous, et le chat s’il y en a un)

  • La coopération l'emporte sur la domination (bye-bye Dark Vador !)

  • Les relations sont changeantes et complexes (on peut être de mauvais poil de temps en temps, ce qui ne veut pas dire qu’on veut manger tout le monde)

Les comportements souvent interprétés comme des signes de "dominance" — la garde des ressources, certaines postures corporelles, les grognements — ne sont en réalité que des formes de communication sociale. Non, votre chien ne vous défie pas pour un poste de leader, il vous indique plutôt où il en est dans son ressenti ou son besoin du moment.

En conclusion

Au final, l’idée de dominance entre le chien et l’homme est un mythe, un résidu de théories dépassées et mal comprises. Les chiens n’ont pas une volonté de domination constante ; ce sont des animaux sociaux, intelligents, et capables de communiquer à travers des signaux complexes.

Plutôt que de chercher à les soumettre ou à les "dominer", ce qu’il nous faut, c’est devenir un leader bienveillant.
Cela signifie poser des règles claires, communiquer avec respect, et bannir les méthodes punitives. Bref, bâtir une relation fondée sur la confiance, comme dans toute bonne équipe.

Et surtout, arrêter de penser qu’il faut un "alpha" pour tout faire fonctionner, parce qu’au final, votre chien ne veut probablement que des balades et un peu plus de biscuits.

Et ça, c’est bien plus facile à obtenir avec de l’amour et du renforcement positif qu’avec n’importe quoi d’autre ! 😍🐶💞